Théo apprend le décès de son beau-frère en rentrant de captivité
Lorsque Théo retrouve sa femme, sa fille et son fils sur la place du champ de mars à Rennes, il apprend que son beau-frère "Alfred" est décédé et que les obsèques avaient eu lieu la veille.
Yvette, fille de Tonton Alfred, se souvient du retour de son oncle Théo, mais elle se souvient surtout des jours qui ont précédés. Elle avait à peine huit ans et ½ lorsque, le 20 avril 1945, elle devenait orpheline de son père. Freddy, son frère, n'avait que deux ans et trois mois. Je suis avec son mari Francis lorsqu'elle raconte un épisode de son enfance sur lequel elle ne s’est jamais exprimée: « j’ai vécu en même temps des moments amusants et des moments pénibles sans me rendre compte vraiment de ce que ça représentait. Le mercredi 18 avril, j’ai assisté au mariage d’Alexis et Germaine Aulnette alors que Papa était en agonie. Pendant le repas, j’ai chanté avec mes trois cousines: Marie, Germaine et ta sœur Madeleine. Quand j’y pense…
Maman est restée toute la journée avec Papa que je savais bien malade. A mon retour, il allait tellement mal qu'elle m'a confiée à ta mère. Tante Anna m’a emmenée chez elle et j'ai dormi avec Madeleine, dans le lit qui était près de la fenêtre. Papa est mort le vendredi 20 avril à 23h00. Un peu plus tard, quelqu’un est venu frapper aux carreaux pour prévenir ta mère qui a crié : ce n’est pas possible. Je l’ai entendue pleurer. Madeleine dormait. Tante Anna n’a jamais su que je m’étais réveillée et que j’avais tout compris. J’en ai jamais parlé à personne » répète t’elle, les larmes aux yeux.
70 ans plus tard, j’ai l’impression qu’elle ressent un soulagement en dévoilant ce dont elle a vécu au moment de la disparition de son père. Elle poursuit : « le matin, lorsque je me suis réveillée, j’ai pris mon petit déjeuner assise à côté de ta sœur Madeleine et de ton frère Bernard. Ils ne savaient pas que Papa était mort. Soudain, comme pour un matin normal, nous avons eu tous les trois une crise de fou rire. Alexandre Rouiller, commis à la ferme de ta mère me regarde et dit: ne ris pas comme ça Yvette, ton père est mort... C’est à ce moment que Madeleine et Bernard ont appris le décès de leur oncle. Peu de temps après, ils sont partis à l’école, mais cette fois sans moi.
Je me souviens aussi avoir entendu Tante Anna dire à Grand-mère et aux voisins : Mon dieu, quand je pense que je vais devoir emmener Yvette chez sa mère à La Veslais. Je me vois encore partir de La Touche. Nous nous sommes arrêtés au moulin de La Pile. Germaine Prunault et Tante Anna pleuraient tellement que j’ai pleuré moi aussi et ça a duré jusqu’à ce que j'arrive à la maison. J’ai vu Papa, allongé sur son lit. Quelques instants plus tard, Marceline Couvreux, une voisine, m’a emmenée chez elle.
Je me souviens aussi du jour des obsèques. Je me vois encore quitter la maison et partir, avec la voiture à cheval, au bourg d'Ercé en Lamée.». Les obsèques de Tonton Alfred ont eu lieu le 23 avril 1945. Théo est rentré de captivité le lendemain. C’est sur le champ de mars à Rennes, juste après son arrivée à la gare sncf, qu’il a appris la triste nouvelle. Yvette continue son récit : « Maman est partie tard le soir de la Veslais pour aller voir son frère Théo à La Touche. Elle était en deuil, il ne fallait pas qu'elle soit vue... ».
Une dizaine d’années plus tard, Yvette, employée dans une propriété privée au bourg d’Ercé en Lamée, découvre une feuille paroissiale datant d’avril 1945 sur laquelle figure l'avis de décès de son père. Elle se rappelle avoir lu : « Ayons une pensée pour Alfred Guibert, camarade de souffrance de l’abbé Fleury et ayant fait des séjours avec lui dans les hôpitaux de Paris. Pensons en particulier à ses deux jeunes enfants qui plus tard ressentiront douloureusement son absence ».
Comme Théo, Tonton Alfred a été mobilisé en septembre 1939. Le 14 juin 1940, il a été blessé à Joinville le Pont puis soigné dans les hôpitaux parisiens que sont la Salpêtrière et le Val de Grâce. Il a subi plusieurs opérations et chaque fois sans anesthésie. En juin 1941, il est rentré à son domicile, à La Veslais, mais son état de santé demeurait critique. Des médecins des hôpitaux militaires de Paris demandaient régulièrement de ses nouvelles, ce qui aujourd’hui laisse Yvette penser qu’ils le savaient condamné...